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Le travail agile favorise-t-il la motivation et la santé?

Les formes de travail agiles ont la cote dans les entreprises suisses. Elles promettent plus de flexibilité et une orientation clientèle et marché plus forte. Étonnamment, on sait peu de choses sur la façon dont les formes de travail agiles affectent la motivation et la santé des membres du personnel.

Prof. Dr. Andreas Krause,
FHNW

Les études disponibles sont rassemblées dans la feuille d'information 3 de Promotion Santé Suisse et aboutissent à une conclusion plutôt positive:

  1. Les équipes organisées de façon autonome sont au cœur des formes de travail agiles. L’autonomie est très prononcée dans le quotidien professionnel des équipes agiles, ce qui augmente la satisfaction et la motivation, en particulier dans les équipes interdisciplinaires qui assument durablement la responsabilité d’un produit ou d’un service
  2. Étape par étape (de manière itérative), le produit souhaité est développé et les progrès respectifs (incrément) sont évalués. La quantité de travailest répartieplus uniformément dans le temps. Dans le cadre d’un travail de projet jusque-là habituel, les pics avant échéances étaient fréquents et il fallait parfois travailler de manière beaucoup plus intensive. Un travail plus agile permet de mieux répartir la quantité de travail dans le temps, de sorte que la perception du stress fluctue également moins.
  3. Les membres de l’équipe échangent davantage entre eux: premièrement, les retours sur le résultat du travail clarifient les objectifs et la contribution de l’équipe, ce qui est motivant. Deuxièmement, les membres de l’équipe réfléchissent à leur propre coopération lors des rétrospectives, contribuant ainsi à façonner leur propre situation de travail.
  4. Les phases de travail intensif en binôme sont propices à l’apprentissage. Développer ses compétences individuelles dans le cadre d'un contact direct et personnel est très apprécié.
  5. Grâce à l’expérience croissante de mise en œuvre, les avantages des formes de travail agiles pour la santé, en particulier la réduction de la charge de travail et le soutien, sont perçus plus clairement. Des effets positifs sur la santé et sur le stress ressenti se manifestent dans les équipes de travail agiles.
  6. L’introduction consciente d’un rôle qui garantit un travail ciblé et sans perturbations (celui de Scrum Master p. ex.) favorise également la motivation et la santé grâce à l’amélioration des conditions de travail. Si la conduite a lieu d’égal à égal ou même en se mettant au service des membres du personnel («servant leadership»), alors les collaboratrices et collaborateurs vont mieux.

 

Mais il serait naïf de penser que les formes de travail agiles sont toujours favorables à la santé. L’étape vers l’organisation autonome doit également être soutenue avec force par l’entreprise, car de nouvelles compétences sont nécessaires. Les difficultés à coopérer ainsi que la mise en danger de sa propre personne face à des objectifs exigeants sont susceptibles d’augmenter.

Les spécialistes GSE ou les HR Business Partners qui soutiennent le changement doivent eux-mêmes avoir l’expérience du travail agile. Cela permettra d’identifier les pièges liés à cette forme de travail. Il se peut que les équipes agiles se concentrent unilatéralement sur l’exécution des tâches et qu’elles donnent l’impression de pouvoir se passer de toute collaboration (telle qu’envisagée dans les rétrospectives). Ou bien les méthodes agiles sont utilisées, mais l’attitude correspondante – à savoir l’état d’esprit agile – fait défaut. Ensuite, des mots-clés comme «orientation clientèle» et «itérations» sont prononcés mais pas appliqués. L’équipe agile recherche elle-même des solutions définitives, sans demander l’avis des utilisatrices et utilisateurs et en développant constamment des solutions au contact de la clientèle via des prototypes initiaux. Il est donc particulièrement important de rendre visibles ces pièges que les équipes concernées ne reconnaissent elles-mêmes pas clairement.

 

Afin de garder un œil sur l’effet motivant et favorable à la santé des formes de travail agiles, une communication ouverte est nécessaire. Non seulement les chiffres clés habituels de la productivité sont rendus transparents et font l’objet de discussions, mais l’état de santé et le ressenti des membres du personnel sont également mis en lumière. La charge de travail a-t-elle été estimée de manière réaliste ou nous sommes-nous surchargés? Est-il facile de recevoir du soutien lorsque j’en ai besoin ou est-ce que je ressens de la concurrence au sein de l’équipe? N’y a-t-il pas d’échange sur la collaboration précédente parce que le temps manque? Sommes-nous en mesure de donner notre avis de manière constructive au sein de l’équipe agile ou préférons-nous nous abstenir?

Les spécialistes RH ou GSE soutiennent les équipes agiles sur la voie de l’organisation autonome, également en renforçant la prise de conscience quant à l’importance de la santé et de la motivation dans les rôles assumant des tâches de conduite (tels que Scrum Master, coach agile).

Le choix des mots est également important pour obtenir l’acceptation. Dans certaines entreprises et équipes, il peut être utile par exemple de parler de sécurité psychologique plutôt que de santé. L’étude Aristote de Google a confirmé l’hypothèse d’Amy Edmondson selon laquelle l’ouverture mutuelle est un facteur de réussite clé pour les équipes de Google. Plus on peut parler ouvertement et de manière constructive des incertitudes et des erreurs, plus les équipes réussissent et mieux leurs membres se portent. Par conséquent, il est par exemple devenu naturel dans les entreprises informatiques de considérer la sécurité psychologique comme quelque chose d’important. Lors de la mise en place de formes de travail agiles, il est judicieux de promouvoir cet échange ouvert par le biais de rétrospectives, au cours desquelles il est possible de mettre en lumière la collaboration et toutes les questions et incertitudes qui se manifestent.

Conclusion: des études montrent que les formes de travail agiles ont le potentiel de promouvoir la santé. Mais cela doit être observé et vérifié dans chaque entreprise. Il est intéressant d’intégrer dans les rétrospectives l’auto-observation et l’échange ouvert via un accompagnement des processus des équipes agiles. Il faut veiller ici au choix des mots: certaines équipes réagiront positivement à l’utilisation d’expressions telles que charge de travail ou «Keep the balance», tandis que d’autres réagiront mieux à état de santé, stress ou encore sécurité psychologique. Une équipe agile n’évoluera à l’unisson, dans une direction qui se veut non seulement plus productive mais aussi favorable à la santé, que si elle intègre l’impact que les formes de travail agiles ont sur elle dans son quotidien professionnel.